èrm

En écho à la « grande touffe d’herbes » (das Grosse rasenstück), d’Albrecht Dürer, 1503.
Cette étude rassemble des images dans lesquelles est questionnée la variété des formes, structures et tonalités de quelques fragments de paysages. Le temps et le feu solaire accompagnent une lente transformation, le cycle se poursuit hors champ, dans le sommeil des graines.

david h

èrm (nom occitan masculin) : lande, friche, désert (du latin eremus, emprunté au grec ἔρημος).

Le mot èrm est un toponyme très fréquent, orthographié Herm, Lherm ou Lerm. On le rencontre le plus souvent sous la forme dérivée ermàs, de même sens (variante armàs).
Composé : s’enermassir, tomber en friche, devenir inculte. Synonymes : bosiga (boïga), campèstre, trescamp.
David Huguenin, dans sa série Èrm, nous propose une approche photographique inédite du règne végétal et de ce type particulier de végétation que l’on appelle garrigue. Loin des clichés habituels la présentant comme photogénique, aimable, esthétique et colorée, plantée de cades, de romarin et de lavande sauvage que domine un beau ciel bleu, il nous donne à voir un pays gris et jaunâtre, en tons délavés ou salis, en demi-teintes d’arrière-saison hivernale. Il nous montre des buissons et des haies oubliés des hommes, des hérissements hirsutes et proliférants de lianes et d’arbustes épineux auxquels se mêlent de hautes herbes desséchées, des forêts vierges, sèches et primaires, à la fois denses et rabougries. Il nous montre la nature telle qu’elle redevient dès que l’homme à tourné le dos, une nature sans égards pour notre peau sensible et nos scrupules esthétiques. On peut ressentir une certaine déception au premier regard, tant cette vision s’éloigne de notre horizon d’attente coutumier quand on songe à la garrigue, puis l’on se dit aussitôt qu’elle nous offre au contraire l’image la plus fidèle au réel, à l’être en soi de la garrigue. Cette image réelle, nous la refoulons sans cesse, on ne veut pas la voir, on s’efforce de l’oublier en lui superposant inconsciemment des visions de cartes postales. On reconnaît enfin que ce type de paysage nous apparaît le plus souvent sous ce jour ingrat, presque hostile, en tout cas dans une totale indifférence à notre égard : aucun souci d’utilité, aucune tentative de séduire le genre humain. David Huguenin, mieux que tout autre photographe, arrive à saisir et à rendre cet être en soi du végétal, cette force brute qui pousse ses racines et ses tiges sans but assignable, sans autre logique que sa perpétuation, recouvrant tout ce qui peut la servir, étouffant tout ce qui la gêne. Ce qu’on appelle la végétation est la résultante de ce mélange inextricable d’espèces qui vivent à la fois en état de lutte permanent et en collaboration symbiotique. Le photographe présente sans aucune complaisance le végétal à l’état brut, sous la forme particulière qu’il revêt sous climat méditerranéen quand on l’abandonne à lui-même.

Renonçant à toute facilité et à toute tentation commerciale, David Huguenin est donc une sorte d’ermite, en donnant à ce mot son sens étymologique. Un idéal le pousse au désert, vers les lieux oubliés des hommes, pour y accomplir des exercices spirituels consistant à se défaire de nos vanités humaines, de notre vision du monde anthropocentrée. Ses photographies sont une ascèse érémitique. Rappelons que le sens étymologique d’ascèse est exercice.

Le désert qu’il explore n’est pas de dunes et de roc, il exclut simplement la présence de l’homme. C’est un désert d’avant ou d’après l’homme. Il existe deux façons de « rendre l’humain superflu » (selon une formule d’Hannah Arendt) : par excès d’artifice ou par nature exclusive ; en artificialisant le monde (bétonnage, goudronnage, pesticides, herbicides) ou en le rendant à la nature primitive. Èrm suit cette seconde voie : une végétation opaque et dense s’est refermée sur l’abandon du terrain par l’homme. Au jardin anthropique succède l’ermàs. On peut dès lors contempler l’essence du végétal dans toutes ses essences sauvages, dont il est possible dans ces photographies d’identifier quelques unes : cannes de Provence, prunellier, clématite, brachypodium (que l’occitan désigne d’un beau vocable, la bauca)…

Le mérite d’Èrm est de nous proposer cette vision inédite de la nature et du règne végétal, à laquelle notre angoisse écologique sur l’avenir de notre planète donne une pertinence et une acuité renforcées. Il remet à sa place, en l’effaçant, notre espèce fortuite et provisoire.

Jean Claude Forêt, janvier 2019

Autour d’èrm :
Herba Diva + Èrm : exposition