Depuis de nombreuses années, l’observation de la nature s’est accompagné du désir de garder une trace des architectures remarquables qui animent le règne végétal. A une détermination botanique précise, exhaustive, à l’inventaire d’une flore méditerranéenne s’est substitué un corpus restreint dont chaque élément témoigne de la singularité d’une rencontre. La série ne renvoie donc pas aux catégories traditionnelles, aux types biologiques de genre, d’espèce, mais tente plutôt de prolonger un mouvement de saisissement de la pensée, phénomène imprévisible, fugace lors duquel une plante révèle la beauté de sa forme. La perception intense d’une présence (1).
Ce qui a été décrit au sujet des rapports ou des proportions dans les mondes minéraux, animaux, végétaux, constitue une somme d’information d’une richesse considérable. Spirale du nautile, segments d’Euclide, théorie des signatures de Paracelse, suite mathématique de Fibonacci, homme de Vitruve de Leonard de Vinci… longue liste à l’image de la fascination qui découle de l’étude des formes. Aussi, pour quiconque s’intéresse à la nature, l’importance des notions fondamentales de la botanique demeure fondamentale mais au long de cette collecte j’ai surtout tenté de préserver un état de réceptivité, simple, sans volonté de détermination.
La relation entre savoir scientifique et « saisie poétique » est parfois complexe. Une histoire parallèle des sciences naturalistes serait à imaginer, ne compilant pas la rareté du fruit des expéditions mais l’esprit de l’approche. Il ne s ‘agit bien évidemment pas de remettre d’une quelconque manière en question la valeur scientifique de la botanique mais de la mettre en perspective avec ce qui n’est pas mesurable, quantifiable, et portant sur le même objet d’étude, une feuille, une fleur… Johann Wolfgang Von Goethe*, dans « conversations avec Eckermann » dit comment les amateurs de papillons, toujours en quête de nouveaux spécimens pour augmenter leur trésor, ne perçoivent pas qu’au moment même d’épingler ces trésors l’essentiel s’en échappe à jamais. (2)
L’intérêt que j’ai pu éprouver à l’étude de ces plantes communes s’est développé sur un chemin opposé de celui du collectionneur. Je ne projette rien de particulier dans ces formes, je préfère ne pas y voir à priori de signification. (3)
Aux formes parfois complexes et spectaculaires des premières plantes, des formes de plus en plus simples sont peu à peu apparues. Les formes retenues sont ainsi devenues élémentaires, le phénomène de la couleur suivant un chemin similaire, le vert devenant une non couleur tant la teinte est littérale.
David Huguenin
Mèze 14.5.2012
(repris 12.20)
* (1) Un phénomène fascinant à décrypter apparut, deux voies distinctes s’ouvrant simultanément ; d’une part, la progression d’un certain savoir, la reconnaissance progressive d’espèces ; de l’autre le fait, en observant, de constater que le nombre des espèces méconnues ou ignorées augmente simplement, mystérieusement, à mesure que le regard se forme. (G. Flaubert « plus les télescopes seront perfectionnés, plus il y aura d’étoiles »). L’œuvre du temps, les signes, indices… l’émotion renouvelée à la vue d’un fragment de feuille ou d’herbe, voir les rosettes basales recommencer à s’étoiler, à croitre. Ne pas savoir évidemment pour tout fragment de toute feuille, mais tâcher de se souvenir de l’endroit, tâcher d’y revenir pour voir qui devient là cette année. L’été passe, une multitude de signes n’a pu être suivie, enregistrée… Le chlorophyllien gorgé de suc s’est métamorphosé, est devenu squelettique, au cours de l’automne passera par toutes les nuances du sec désormais sans sève… Nuances immensément variées, écho de celles des verts initiaux. Initial printemps, arbitraire idée dans le cycle, la graine étant autant fin d’un processus que commencement. (à ce propos, voir « èrm »)
* (2) « le pauvre animal palpite dans le filet et perd en se débattant ses plus belles couleurs et même si on réussit à l’attraper intact le voilà quand même pour finir épinglé rigide et sans vie ; le cadavre n’est pas la totalité de l’animal quelque chose d’autre en fait partie,… partie principale des plus principales : la vie (…) »
Goethe, conversations avec Eckermann, Gallimard, 1937.
* (3) « Si les fleurs sont belles à la mesure de leur conformité à « ce qui doit être », c’est affaire de regard, c’est à dire de temps : surtout, il ne faut pas voir autrement qu’ « à première vue ». La rupture avec une certaine lenteur, avec un certain temps passé auprès de la chose vue, est la secrète condition du mouvement vers le haut : le superficiel est la face cachée de l’idéal
Georges Bataille, à l’extrémité fuyante de la poésie, Sylvain Santi, Amsterdam/New York, Rodopi collection « Faux titre », 2007.
Ce qui frappe les yeux humains ne détermine pas seulement la connaissance des relations entre les divers objets, mais aussi bien tel état d’esprit décisif et inexplicable. C’est ainsi que la vue d’une fleur dénonce, il est vrai, la présence de cette partie définie d’une plante; mais il est impossible de s’arrêter à ce résultat superficiel : en effet, la vue de cette fleur provoque dans l’esprit des réactions beaucoup plus conséquentes du fait qu’elle exprime une obscure décision de la nature végétale. Ce que révèlent la configuration et la couleur de la corolle, ce que trahissent les salissures du pollen ou la fraicheur du pistil, ne peut sans doute pas être exprimé à l’aide du langage; toutefois, il est inutile de négliger, comme on le fait généralement cette inexprimable présence réelle, et de rejeter comme une activité puérile certaines tentatives d’interprétation symboliques.
Georges Bataille, O.C.I p173.
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